Roland-Garros, trente ans après Melbourne

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En 1988, l’Open d’Australie est à la croisée des chemins. Le tournoi s’installe à Melbourne Park pour redorer son blason et reprendre une place à part entière au sein du Grand Chelem. Près de trente ans plus tard, Roland-Garros, dans une situation similaire, a décidé d’enclencher l’indispensable marche avant. L’évolution programmée semble toutefois encore insuffisante pour combler le retard sur Melbourne, l’exemple à suivre en matière d’infrastructures. Mais le tournoi parisien pourra toujours compter sur ses spécificités et son poids dans l’histoire du tennis pour conserver une place de choix.

 

Entre 1877 (création du Lawn Tennis Championship à Wimbledon) et 1928 (construction du stade de Roland-Garros), les sites accueillant les quatre tournois du Grand Chelem connaissent une première période faste. Puis, pendant 60 ans, à l’exception du déménagement de l’US Open à Flushing Meadows en 1978, la situation se stabilise, entre immobilisme et tradition.
L’Open d’Australie, particulièrement à la traine, se modernise à partir de 1988. Cette date est un tournant et Melbourne emmène dans son sillage Wimbledon et l’US Open. Tout est désormais prévu pour l’accueil du public, des journalistes, des joueurs et des staffs. Roland-Garros, à l’exception de la construction du court Suzanne Lenglen en 1994, n’a pas encore emboité le pas de Melbourne Park. Fort heureusement, les trois prochaines années devraient changer sensiblement la donne.

 

L’évolution indispensable

« Le public ne peut plus être pénalisé. Quant aux joueurs, ils viennent parfois désormais avec des équipes de huit personnes et nous sommes maintenant trop à l’étroit. Nous avons besoin du nouveau Roland-Garros » confiait Guy Forget, directeur du tournoi parisien le 30 mai 2016. Un avis partagé par l’ensemble des personnes transitant porte d’Auteuil fin mai, début juin. « Les travaux sont indispensables car il est difficile de circuler à Roland-Garros. Les tribunes sont petites et les allées sont encombrées » indique Christine Hanquet, journaliste spécialiste du tennis pour la RTBF depuis plus de 25 ans. « Pour passer d’un endroit à un autre, il faut parfois traverser une marée de gens » ajoute Filip Dewulf, demi-finaliste surprise de l’édition 1997, aujourd’hui journaliste. Le nouveau Roland-Garros, qui passera de 8,5 à 11,16 hectares en configuration tournoi, réglera en grande partie cette première problématique. « Le site du tournoi restera le plus petit des quatre tournois du Grand Chelem mais c’est certainement un grand pas dans la bonne direction. L’extension vers les serres d’Auteuil va donner aux gens et aux joueurs un peu plus de place pour souffler » conclut Filip Dewulf.
L’autre difficulté majeure pour Roland-Garros réside dans l’absence de courts couverts. « Il n’y a pas de toit à Paris. Une édition comme celle de l’année passée, avec huit jours de pluie, est mortelle pour le sentiment des gens et des joueurs » indique Filip Dewulf. « La modernisation du stade est indispensable. Ce n’est plus acceptable de ne pas assurer la continuité du tournoi. Cela fait 15 ans qu’on veut un toit » avouait Guy Forget lors de la dernière édition de Roland-Garros. Là encore, les travaux de rénovation amorcés l’année dernière vont résoudre en partie le problème.

 

 

Des améliorations suffisantes ?

L’Open d’Australie possède un toit depuis 1988, Wimbledon depuis 2009 et l’US Open depuis 2016. « Les courts couverts dans les Grands Chelems sont à présent un standard » assurait Guy Forget en mai 2016. Melbourne Park est désormais pourvu de trois toits rétractables alors que Wimbledon et Flushing Meadows vont bientôt se doter d’une deuxième couverture.
Pour le « French Open », il reste à espérer que la phase de travaux en cours ne constitue que la première étape d’une mutation plus profonde encore. « Comme les autres tournois n’arrêtent pas non plus d’évoluer, il n’est pas sûr que Roland-Garros rattrape le retard dès 2020 » concède Filip Dewulf. Dans trois ans, lorsque le court Philippe Chatrier sera enfin doté d’un toit, les trois autres tournois majeurs auront encore subi des améliorations. Et on peut compter sur les organisateurs de l’Open d’Australie pour imaginer, d’ici là, de nouvelles innovations dont ils ont le secret. En regardant en direction de Melbourne, le tournoi parisien dispose d’une formidable source d’inspiration.

 

 

S’inspirer du « Happy Slam »

1982, Johan Kriek se succède à lui-même au palmarès de l’Open d’Australie. Sans vouloir faire injure au joueur américain (sud-africain un an plus tôt), son nom fait pâle figure à côté de Wilander et Connors, vainqueurs des autres majeurs cette année-là. Des dotations jugées trop faibles et des fréquentations en berne au stade vétuste de Kooyong sont à l’origine de la désertion des grands joueurs du circuit. Björn Borg, par exemple, ne disputera l’Open d’Australie qu’une seule fois dans sa carrière, à l’âge de 17 ans. Au milieu des années 80, la position du tournoi australien au sein du Grand Chelem est sérieusement remise en cause.
La construction de la Rod Laver Arena en 1988 fait entrer le tournoi dans le 21ème siècle, bien avant les trois autres levées du Grand Chelem. Dès 1995, l’ensemble des meilleurs joueurs fait le voyage « down under ». « Les Australiens ont fait un bond énorme. Le tournoi, qui n’était pas vraiment bien vu à mon époque, est devenu un évènement leader des Grands Chelems, en termes d’infrastructures » confie Filip Dewulf.
Et les organisateurs australiens ne se reposent pas sur leurs lauriers. Ils ne se contentent pas d’organiser le tournoi le plus agréable du circuit. Ils font aussi des investissements réguliers pour conserver une longueur d’avance en termes d’installations. Le « Tanderrum Bridge », reliant Melbourne Park au Parc Olympique a été mis en service le 22 décembre 2016. Une remise à neuf de la Rod Laver Arena, qui n’a pourtant pas encore fêté ses 30 ans, doit être terminée pour l’édition 2020 de l’Open d’Australie. « Je ne vois pas un seul tournoi au monde qui ait progressé autant chaque année » avançait Rafael Nadal en janvier dernier.
Pour Roland-Garros, l’espoir est donc permis car le tournoi parisien ne se trouve pas dans une situation aussi précaire que son homologue australien dans les années 80. En moins de 30 ans, l’Open d’Australie a changé de statut. Cela ne s’est pas fait en une seule transformation, mais bien sur la base d’une évolution perpétuelle. La France, avec sa complexité administrative, en est-elle capable ?

 

 

Le poids de l’histoire

André Agassi en 1999, Roger Federer en 2009 et Novak Djokovic en 2016. Les mêmes images de joie immense sur les visages émerveillés de trois champions d’exception. La victoire à Roland-Garros vécue comme un accomplissement, la concrétisation du Grand Chelem en carrière. La preuve que le « French Open » reste une place forte du tennis.
Dans un autre style, le tournoi parisien possède grâce à Rafael Nadal, nonuple vainqueur, un ambassadeur de choix. L’ogre de l’ocre est avant tout un ardent défenseur de la terre battue. Surface singulière qui est et restera, à l’instar du « french art de vivre », un avantage précieux pour Roland-Garros.

Bertrand Boulenger

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