Consultant tennis à la télévision : le mode d’emploi pour durer

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En France, le métier de consultant TV fait office depuis les années 2000 de reconversion facile pour le joueur ou la joueuse de tennis fraîchement à la retraite. Milieu devenu concurrentiel, la mise en abyme entre la saison du joueur et celle du consultant est désormais facile à faire. Au travers des regards croisés de l’expérimenté Lionel Roux et du novice Florent Serra, tour d’horizon des conditions à respecter pour être un consultant pérenne.

 

Messieurs, en 2017 vous êtes parmi les voix les plus entendues dans le monde du commentaire tennistique à la télévision… Quelles sont exactement vos situations personnelles ?

Florent Serra (F.S) : Depuis l’arrêt de ma carrière, je suis consultant tennis pour Eurosport, Canal+ et Canal+ Overseas, avec qui je travaille le plus.

 

Lionel Roux (L.R) : Pour ma part, j’ai un contrat renouvelé chaque année avec Canal+. Je m’engage à faire un certain nombre de semaines*. J’ai commencé en 2004, et je suis resté fidèle depuis !

 

En devenant consultant, vous faites le pari rationnel de ne pas quitter votre milieu d’excellence, tout en convertissant radicalement votre posture. Comment et pourquoi fait-on ce choix-là ?

F.S : Je voulais garder un pied dans le milieu et ne pas décrocher complètement. Cela me permettait aussi de continuer à bien vivre. J’ai donc pris des contacts quand j’étais encore joueur. J’ai fait des tests chez Eurosport et cela a été concluant.

 

L.R : Joueur, j’ai souvent rencontré Frédéric Viard, qui s’occupait de la rubrique tennis pour Canal+. J’ai par la suite sympathisé avec lui. Quand j’ai pris ma retraite, il cherchait des consultants et il m’a contacté pour faire des essais. J’ai commenté dix ans avec lui (Sourire).

 

Florent Serra : « C’est un milieu où les patrons ont tendance à ne rien dire quand c’est très bien. Mais le jour où l’on n’est pas bon, ils savent vous le faire comprendre (Rires) »

 

Vous semblez tous deux être très à l’aise avec ce rôle. Pourtant certains anciens joueurs qui embrassent cet après-carrière se rendent rapidement compte qu’ils ne sont pas faits pour ce métier… D’où vient votre réussite ?

L.R : Déjà, il faut aimer commenter ! Il faut aussi savoir s’exprimer correctement et se remettre en question intellectuellement de temps en temps. Après, je me suis formé sur le terrain, avec les équipes de Canal+.

 

F.L : Quand j’étais lycéen, j’étais intéressé par le journalisme sportif. Mais je me suis lancé sur le circuit principal… Après, pendant ma carrière j’ai eu de bons rapports avec les médias. Et à l’issue des matchs, l’interview finale a toujours été quelque chose qui me plaisait bien.

 

Florent Serra intervient aussi sur la radio RMC et livre des analyses pour la nouvelle chaîne de télévision BFMSport.

Photo : RMCSport-BFMSport

 

Arrêter le sport de haut-niveau, c’est mettre fin à des années de nervosité, d’évaluation, de remise en question quotidienne… Pourtant, l’exigence du paysage médiatique impose des contraintes similaires. Comment gère-t-on la transition ?

F.L : La pression du terrain, c’est incomparable. On est vraiment seuls sur le court. Avec le commentaire, surtout quand on a de bons retours au début, il est facile de prendre confiance. Après je sais que c’est un milieu où les patrons ont tendance à ne rien dire quand c’est très bien. Mais le jour où l’on n’est pas bon, ils savent vous le faire comprendre (Rires)

 

L.R : A mes débuts, j’ai dû réaliser pas mal d’essais. Ensuite, on me faisait à chaque fois des petits bilans de ce qu’il fallait dire, ne pas dire… (Enthousiaste) Moi maintenant, je me régale à commenter !

 

On sait que dans le football, le milieu des consultants de télévision est devenu très compliqué à intégrer. A tel point que certains joueurs retraités ne décrochent même pas de tests dans les grandes rédactions… C’est aussi rude dans le tennis ?

F.S :  Dans notre sport, avec les fins de carrière récentes, c’est vrai qu’il y a déjà beaucoup d’anciens joueurs et d’anciennes joueuses. Et il devrait y avoir une nouvelle grande vague avec les prochains départs à la retraite…

 

L.R : (Fermement) Pour moi il n’y a pas du tout de concurrence ! Disons surtout qu’il y en a une entre les chaînes, puisque les droits de diffusion changent régulièrement**.

 

Lionel Roux : « Il faut bien sûr faire attention en permanence à ne pas révéler des détails trop personnels… »

 

Vous êtes forcément amenés à vous exprimer régulièrement sur des joueurs dont vous êtes encore très proches. On se sent comment avant de commenter le match d’un copain ?

F.L :  Pour moi, c’est avant tout de l’amusement. Ils savent tous que je suis consultant. Du coup, je me marre un petit peu là-dessus en leur annonçant que c’est moi qui vais faire leur match ! Et au contraire, je trouve qu’on s’ennuie beaucoup plus à commenter des gars qu’on ne connaît pas et qui ne jouent pas très bien…

 

L.R : J’ai toujours trouvé cela plus enrichissant, d’un côté comme de l’autre. Même s’il faut bien sûr faire attention en permanence à ne pas révéler des détails trop personnels…

 

La qualité du travail du consultant est tributaire d’une bonne collaboration avec le journaliste. Vous êtes d’accord pour dire qu’il n’y pas de bons commentaires sans vraie complicité ?

L.R : Il est important que transpirent une certaine ambiance et une certaine convivialité entre le journaliste et le consultant. Parfois, je me retrouve en cabine à suivre des matchs pour la zone Afrique… Et cela ne me dérange pas du tout parce qu’il y a avant tout le plaisir de partager avec le journaliste avec qui je commente !

 

F.S : Moi je trouve qu’il faut être à l’aise avec le journaliste. Se connaître un minimum. Après, comme je débute, je n’ai pas toujours le choix. Mais dans le planning il y a quand même un peu d’amplitude sur les choix de créneaux… (Sourires)

 

Lionel Roux sur le plateau de Canal +. Le Lyonnais est un des plus anciens consultants tennis du paysage audiovisuel français.                                                                             Photo : SmashMarketing

 

A l’inverse, vous êtes d’accord pour dire que le consultant est bien plus libre dans son choix des mots que le journaliste ?

F.S : Tactiquement et techniquement, je dirais que oui. Et puis je pense qu’il ne faut pas avoir peur de se mouiller un petit peu ! Je suis aussi d’avis de défendre les gars et notre sport.

 

L.R : Disons qu’il y a une analyse technique et une expérience de joueur que le journaliste n’a pas. Par contre, sans les bonnes questions du journaliste le consultant ne s’exprime pas au moment opportun !

 

Pour finir, quel serait votre rêve le plus fou de consultant tennis ?

L.R : (Il hésite) J’ai parfois eu des retours de téléspectateurs après certains débuts de fous rires. Il faudrait que nous laissions nos micros ouverts pour qu’ils puissent nous entendre !

 

F.S : Moi, j’aimerais être un peu plus performant sur les autres sports, le basket, le handball… Cela me plairait bien d’en faire un métier à part entière !

Propos recueillis par Pascal Lefebvre

* Lionel Roux est également directeur d’un tournoi masculin dans la ville de Lyon. Jusqu’en 2014, il était également entraîneur de l’équipe de France de Coupe Davis.

* * En moyenne, les droits tennis sont remis en vente tous les trois ans.

(Photo de une : Mediaunautreregard)

 

Et quand on est une fille ?

L’avis de Camille Pin, consultante pour Eurosport.

 

Derrière le micro depuis 2008, l’ancienne joueuse de 35 ans savoure le succès actuel des femmes dans le monde des consultants français. Même si le commentaire mixte reste un enjeu majeur.

 

« Si on remonte quinze années en arrière, il n’y avait pas une nana ! » se réjouit Camille Pin. Consultante historique d’un média qui fait de la parité un leitmotiv (Eurosport compte 4 femmes dans ses 8 consultants fixes), la Niçoise va même encore plus loin : « Maintenant je pense que c’est plus facile pour une fille que pour un garçon de trouver un boulot dans l’audiovisuel. »

 

Avant d’en arriver à cette situation fertile, tout n’a pas été toujours aussi limpide. Pire, les (rares) consultantes ont longtemps eu à se contenter du bord de terrain ou du seul commentaire des matchs féminins. Un problème issu du mal qui touche les joueuses en amont sur le circuit : « Il y a toujours eu beaucoup de débats entre le tennis masculin et féminin. Avec notamment les histoires sur les différences de Prize Money… »

 

Adoratrice du jeu avant tout, Camille Pin milite maintenant en faveur d’une mixité systématique du commentaire TV. «Moi j’adore commenter les garçons parce c’est complétement le même sport que les filles. A partir du moment où vous avez ressenti le jeu, vous pouvez commenter des garçons et les garçons des filles !» assure-t-elle même. A l’heure actuelle, certaines grandes rédactions n’en sont pas encore pleinement persuadées.

 

Observatrice méticuleuse d’un milieu qu’elle fréquente depuis bientôt dix ans, Camille Pin admet que le changement de tendance est en train de doucement s’opérer. « Nous les filles sur Eurosport*, on commente beaucoup de garçons. Tatiana Golovin sur Beinsports également. Je trouve que c’est en train de s’équilibrer pas mal ! » Aucun doute possible, le tournant est donc amorcé dans le paysage audiovisuel français. Il se prendra avec Camille Pin à la manœuvre.

P.L

* Camille Pin, Emilie Loit, Marion Bartoli et Mathilde Johansson.

 

 

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