Marine Partaud : « C’est un calcul permanent, des choix à faire »

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La Poitevine de 22 ans, récente lauréate de l’Open du Havre (15 000 $), décrit sa condition de 564e joueuse mondiale. À l’ombre du circuit professionnel.

Marine Partaud a remporté son deuxième titre sur le circuit professionnel, fin mars, au Havre. (Photo Instagram Marine Partaud)

Louis Marra vous accompagne depuis quelques semaines sur le circuit en lieu et place de Camille Pin. Comment peut-on se payer un entraîneur quand est en dehors du Top 500 ?

« Avec les prize-money des tournois mais ça ne suffit pas du tout. Je recherche sans cesse des sponsors qui puissent investir dans mon projet en insistant sur le fait que le mécénat est ensuite déductible sur la feuille d’impôts de l’entreprise qui souhaite m’aider. C’est dur financièrement mais je n’ai pas envie que l’argent me bloque. Pour l’instant, ça va, j’ai la chance d’avoir mes parents qui m’aident tout comme quelques entreprises. »

Est-ce facile de convaincre une entreprise de vous sponsoriser ?

« Je cible des entreprises de chez moi, de ma région. C’est tout bête mais ça peut très bien être la boucherie ou la boulangerie chez qui je vais avec mes parents depuis que je suis petite. On ne peut pas rentrer dans chaque boutique comme ça et demander de l’aide. C’est mieux de passer par un intermédiaire, par quelqu’un qui connaît quelqu’un. Peut-être que si je suis dans le rouge financièrement, je changerai de démarche mais ce serait aller un peu au casse-pipe et perdre beaucoup d’énergie sans beaucoup d’assurance que cela aboutisse. »

C’est un travail de communication à faire sur soi-même ?

« Exactement. J’ai fait un gros travail avec l’agence de communication parisienne Taurine l’année dernière, qui m’a donné un gros coup de pouce. J’ai pu avoir des plaquettes, des cartes de visite, pour pouvoir démarcher plus simplement les entreprises. Ne reste plus qu’à trouver à qui parler. »

« Je me dis que je suis numéro 29 française, numéro 23 l’an passé, et que je dois payer mes raquettes. C’est aberrant »

Quel intérêt peut avoir une entreprise à sponsoriser une joueuse de tennis que le grand public ne connaît pas ?

« Il y différentes contreparties en fonction de l’argent que l’on donne. Cela peut aller de la photo dédicacée pour les clients à une raquette ou au nom de l’entreprise sur le sac et les vêtements. L’idée, c’est que l’entreprise qui me sponsorise puisse gagner en visibilité. »

Vous n’avez plus d’équipementier depuis cette saison. Pourquoi ?

« Wilson, qui était mon sponsor raquette depuis douze ans, m’a indiqué que je ne remplissais plus les critères. Il faut avoir tel classement à tel âge et sans ça, on dégage. Je me dis que je suis numéro 29 française, numéro 23 l’an passé, et que je dois payer mes raquettes. C’est aberrant. »

Rien ne vous empêche de regagner leur confiance, si ?

« Je ne crois pas. Si je finis dans le Top 400, ce qui est mon objectif cette saison, je ne m’inquiète pas pour retrouver des contrats. Mais je n’aime pas quémander. Si je n’ai rien, c’est que je ne le mérite pas. »

Se sent-on condamnée à gagner pour exister ?

« Un peu, oui. Mais c’est la loi du haut niveau. On peut avoir l’impression d’être laissée à l’écart quand on n’est pas numéro 1 française mais c’est l’élite, c’est comme ça. C’est pareil, j’imagine, dans les grandes universités comme Harvard. Quand on n’est plus dans les meilleurs, on vous dit : ’’Vous êtes gentil mais il va falloir dégager.’’ Ces critères de sélection sont là pour vous rappeler qu’il faut avancer. »

Marine Partaud, ici avec le maillot de l’équipe de France universitaire, lors du Master’U BNP Paribas, début décembre : « Je n’ai que 22 ans. J’ai encore un peu de temps pour jouer au tennis. » (Photo Delphine Toujas)

Quelque part, vous avez la vie d’une joueuse professionnelle avec les inconvénients mais sans les avantages…

« C’est exactement ça. Simplement, je ne suis pas en autosuffisance financière. C’est pour ça, d’ailleurs, que les membres du circuit secondaire se battent au sujet des prize-money des tournoi du Grand Chelem ou des Masters 1000. Quand on voit qu’un joueur qui perd au premier tour à Roland-Garros touche 32 000 €, on se dit que cette somme nous ferait toute une saison… Mais bon, je le redis, c’est la loi du haut niveau et ça nous motive aussi. »

Les dotations sur le circuit secondaire ont augmenté, cela étant…

« C’est mieux, oui. Quand j’avais gagné à Lleida en 2012 (dotation à 10 000 $), j’avais gagné 930 €. Là, au Havre, j’ai gagné 2 000 €. Ça s’améliore un peu. »

Concrètement, que deviennent ces 2 000 € ?

« Ça part très vite. Tu peux couvrir tes frais de voyage et de logement pour deux semaines de tournoi, payer des entraînements, donc c’est déjà bien. Mais ça ne fait pas tes 25 tournois de la saison. »

Peut-on gagner de l’argent dans le tennis, à ce niveau ?

« Un peu, bien sûr. Mais quasiment rien. C’est un calcul permanent, des choix à faire. Je privilégie les tournois en France pour m’épargner les frais de déplacement le plus possible, par exemple. »

« Je voyage souvent seule. C’est aussi pour cela que j’ai décidé de changer d’entraîneur »

Se pose-t-on, parfois, la question d’arrêter pour faire autre-chose ?

« Souvent même. Mais je me dis aussi que je vis des trucs que très peu de personnes vivent et que quoi qu’il arrive, j’aurai acquis beaucoup d’expérience, de maturité. En voyageant à l’étranger, j’ai appris à maîtriser l’espagnol, l’anglais. Sur le papier, je n’ai que le Bac, mais je ne pars pas de rien. Je suis en train de passer une licence à distance en anglais-espagnol. Tout ça avec l’idée de préparer l’après-tennis si ça ne marche pas. Mais je ne me mets pas de pression par rapport à ça. Je n’ai que 22 ans. J’ai encore un peu de temps pour jouer au tennis. »

Qu’est-ce qui sépare les joueuses de votre rang actuel de celles du Top 100 ?

« Un mélange des aspects tennistique, physique, mental. Ce n’est pas nécessairement le jeu en lui-même. Je ne dis pas que je frappe comme (Angelique) Kerber, mais elle ne doit pas frapper 100 km/h plus fort que moi. Quelqu’un qui n’y connaît rien au tennis ne verrait pas la différence entre nous deux sur un jeu, par exemple. Mais elle serait beaucoup plus régulière dans beaucoup de domaines et je prendrais peut-être 6-1, 6-1. »

À quoi ressemble la vie sur le circuit ?

« C’est un petit monde. On a l’habitude de se croiser. Au niveau de l’ambiance, chez les filles, on va dire qu’on ne s’entend pas toutes entre nous. À part avec certaines, peu de liens se créent. On est plus dans la concurrence, la jalousie. Et puis je voyage souvent seule. C’est aussi pour cela que j’ai décidé de changer d’entraîneur. Louis (Marra) m’accompagne désormais sur chaque tournoi, ce qui peut changer des choses au niveau de mes résultats. »

Et l’ambiance sur les tournois ?

« Il n’y en a pas beaucoup, à part en France. Mais ailleurs, le plus souvent, tu joues dans l’anonymat le plus complet, sans ramasseurs de balle ni juges de ligne. »

Les médias vous suivent-ils ?

« Un peu en France, mais à l’étranger, que dalle (rires). »

Est-ce facile à vivre ?

« Pas toujours. C’est ce qu’on se dit entre nous, parfois. Mais le problème est toujours le même : si on rentrait dans le Top 100, on intéresserait plus le public et les médias. »

Propos recueillis par Thomas Broggini

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