Roland-Garros un jour d’hiver

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C’est une facette dont on tente de dissimuler les contours. Une posture que nous n’aurions jamais dû voir. Encore moins approcher. Éprouvé par deux semaines effrénées chaque été, le deuxième tournoi du Grand Chelem de la saison passe le reste de l’année sous perfusion.

Dans un bloc opératoire à ciel ouvert – un parc de onze hectares – il repose, plongé dans un coma artificiel, en position quasi-létale. Des préfabriqués surplombent une imposante clôture verte. De l’autre côté, une carcasse de métal sortie de terre déploie ses branches d’acier. Des boulons pour bourgeons. Le nouveau court annexe est en pleine germination.

Des tapis rouges recouvrent les axes du village. Mais ici, les VIP sont en bleu de travail. Roland-Garros est à des années-lumière de la folie et de l’effervescence observée début juin. Les parpaings en chair et en os ont suppléé la brique pilée. Les allées alvéolées piétinées pendant la quinzaine tentent de retrouver leur souffle. Des barrières de chantier délimitent et indiquent le chemin. Impossible d’aller ailleurs. Le malade demeure fragile.

Les boutiques de souvenirs aperçues au loin sont assoupies, les stores baissés comme des paupières. Le chemin jusqu’au point média est truffé de câbles électriques et de fils hors sol. Un fil d’Ariane. La salle de presse est un « no man’s land » le sol recouvert de bâches. Les taches de peinture sont les stigmates de cette guerre contre le temps. Les néons vacillants peinent à reproduire les rafales du flash des photographes. Les couloirs sont inégalement arrosés de lumière. Les cabines radio sont cadenassées et condamnent le géant au silence.

 

« Opération à cœur ouvert »

 

La porte d’accès au court est verrouillée, son hublot embué par la fine brume qui enveloppe Auteuil. Roland-Garros a sa fierté. La visite de courtoisie était programmée, mais il refuse de nous laisser assister à ce spectacle.

MM. RF. ND. Le « Mur des champions » nous rappelle qu’il y a eu une présence – des signatures comme des hiéroglyphes dans une caverne mal éclairée – de joueurs à la carrière nébuleuse aux plus grands. Les indices balisent le passé, jalonnent le parcours et promettent à ce haut lieu du tennis de ne jamais souffrir d’amnésie.

L’avancée se fait à contre-courant. Les vestiaires nous font pénétrer au plus profond de son intimité. Plongée dans ses narines. Les sens diffus, bouleversés par de cruelles absences. Des effluves de sueur, des miettes de terre. Des casiers qui claquent. Rien de tout ça. Le froid est tétanisant, le silence assourdissant.

Le Central nous drague, nous attire, comme pour mieux nous repousser. On continue de lui tourner autour sans jamais pouvoir y pénétrer. Une faille. Une travée laissée ouverte. Deux murs à la peinture décrépite, comme une balafre du passé. L’opération de chirurgie est en cours. Sur la table, le patient est entièrement dénudé : un central désert, balayé de sa fine couche de terre battue. Le filet a été retiré. Les lignes du court sont creusées et pratiquement effacées. Le « Philippe-Chatrier » attend de recevoir sa nouvelle identité.

La star du jour est pourtant sur le court. Pas de raquette, mais un pinceau dans la main droite. Un chirurgien de circonstance opère à cœur ouvert. Le geste est précis, tendre, onctueux. L’homme fait preuve d’une réelle empathie pour son malade. Mais le réveil opératoire n’est pas encore à l’ordre du jour. Roland-Garros est endormi. Mais Roland-Garros vit. Et sa vieillesse l’assure malgré tout d’une jeunesse éternelle.

Laurent MAJUREL

Crédit photo : L.M.

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